
Imaginez une chirurgienne ou un chirurgien équipé d’un casque de réalité augmentée, capable de visualiser, à travers la peau d’un patient ou d’une patiente, une représentation 3D de la zone à opérer, avec une précision millimétrique. C’est le processus que développe le chercheur Simon Drouin, de l’École de technologie supérieure de Montréal (ÉTS), en collaboration avec des équipes en neurochirurgie pour qui ce genre d’outil change vraiment la donne.
Simon Drouin n’est pas médecin. Il vient de l’industrie du jeu vidéo et du cinéma d’animation, et son parcours professionnel transcende les frontières entre l’informatique et le graphisme. Ses recherches portent notamment sur la manipulation d’objets 3D virtuels en recourant aux principes d’infographie, et elles s’appuient sur une fine compréhension des dynamiques d’interaction humain-machine. Élément imprévu dans son parcours : sa connaissance de la réalité virtuelle (RV) et de la réalité augmentée (RA) l’a mené, par quelques détours, à s’intéresser aux enjeux du monde hospitalier, et particulièrement à l’évolution des outils de guidage en chirurgie.
Des lacunes à surmonter
Encore aujourd’hui, la chirurgie s’appuie sur des techniques souvent limitées par la visualisation en deux dimensions, avec une précision relative. Le rêve de ce jeune professeur agrégé du Département de génie logiciel et des technologies de l’information est de faire entrer la réalité mixte au bloc opératoire et de faciliter l’interaction entre des cliniciens et cliniciennes et des images médicales 3D. Autrement dit, il travaille à « faire en sorte que les équipes de chirurgie disposent d’une vision tridimensionnelle directe et en temps réel pendant les opérations ».
« C’est une innovation particulièrement nécessaire en neurochirurgie, explique-t-il. La précision des manipulations dans le cerveau humain est cruciale pour éviter les dommages neurologiques. Chaque millimètre touché est potentiellement dangereux. »
Il poursuit : « J’aime dire qu’en utilisant une combinaison judicieuse de RV et de RA, les membres du bloc opératoire pourront carrément “voir à travers la peau”. Cela leur permettra non seulement de pratiquer des incisions plus fines et moins invasives, réduisant ainsi les traumas pour les patients, mais aussi de profiter d’une guidance chirurgicale bien plus précise. »

Comment ça marche ?
La réalité virtuelle (RV) à l’étape préopératoire
Dans le processus que cherche à implanter Simon Drouin, la réalité virtuelle est utilisée pour aider les chirurgiennes et chirurgiens à planifier leurs opérations. Traditionnellement, ces spécialistes examinent des scans du patient ou de la patiente sur un écran d’ordinateur, qui affiche des coupes bidimensionnelles, limitant ainsi la compréhension des structures en trois dimensions. La RV, elle, permettra une visualisation tridimensionnelle des images, ce qui améliore significativement la compréhension des relations géométriques entre différentes structures anatomiques. Concrètement, les chirurgiens et chirurgiennes utiliseraient des dispositifs de réalité virtuelle qui offrent une vision « stéréoscopique », se trouvant ainsi plongés dans une simulation 3D immersive de l’anatomie des patients et patientes.
La réalité augmentée (RA) appliquée au guidage
Tout au long de la chirurgie, la réalité augmentée se superpose à l’œil du spécialiste et lui offre une vision précise de la zone du corps à opérer. Affichées grâce à des lunettes qui superposent des images virtuelles aux structures réelles observées par le chirurgien ou la chirurgienne, les images RA révolutionnent les fonctions de guidage chirurgical. En d’autres mots, la RA intègre des informations numériques (comme des visualisations des structures internes du patient) dans la vision réelle de la personne qui opère (celle qu’il ou elle voit à travers le microscope chirurgical), offrant ainsi un guide précis durant l’opération. « C’est très concret, précise Simon Drouin. Le chirurgien ou la chirurgienne peut voir avec précision où se trouve la tumeur, où sont les vaisseaux sanguins qu’il faut éviter, etc. C’est vraiment comme si une caméra entrait à l’intérieur [de l’organisme] et qu’on la suivait. »
La technologie développée s’appuie également sur des stratégies d’interaction humain-machine avancées, comme le suivi des mains pour manipuler des images médicales en réalité virtuelle.
L’innovation est géante, car elle soulage le ou la spécialiste de l’exigeante gymnastique mentale que commande l’ancien système de guidage. Il n’est plus nécessaire de balayer successivement du regard le patient ou la patiente puis l’écran, puis de se concentrer à superposer les deux visions dans son esprit.
À intégrer dans la formation des médecins ?

Il va de soi que le potentiel d’immersion dans des simulations virtuelles de chirurgie est une avenue prometteuse pour former de futurs chirurgiens et chirurgiennes. Imaginons que toutes les universités puissent se doter des technologies nécessaires : les étudiants et étudiantes pourraient pratiquer des interventions chirurgicales dans un contexte virtuel reproduisant avec exactitude les situations réelles.
Selon Simon Drouin, le processus impliquerait que le ou la jeune spécialiste porte un casque de réalité virtuelle et utilise des outils connectés à des robots qui simulent la pression exercée lors d’une opération réelle.
« Une étudiante de maîtrise de l’ÉTS travaille actuellement sur la manipulation d’une fausse aiguille dans l’environnement virtuel, qui simule l’insertion d’une vraie aiguille. Les forces simulées lors de l’insertion de l’aiguille dans le patient virtuel sont conçues pour offrir aux jeunes chirurgiens et chirurgiennes une perception réaliste de l’intervention, renforçant ainsi leur expérience pratique sans les risques associés aux opérations sur de vraies personnes. »
La robotique joue un rôle crucial dans cette méthode, se combinant à la réalité mixte dans une perspective tout à fait interdisciplinaire! Voilà qui ouvre des horizons nouveaux et prometteurs, conclut Simon Drouin. « La robotique n’est pas mon champ d’expertise et je ne peux pas trop m’avancer à ce sujet, mais je pense que le futur de la réalité mixte y sera intimement lié. Et ce, en médecine comme dans bien d’autres domaines! »