
Comme dans la plupart des sociétés occidentales, le Québec et le Canada comptent de plus en plus de personnes âgées, plus fréquemment blessées au niveau de la colonne vertébrale lors d’accidents. Afin de mieux comprendre ces traumatismes et la manière de les prévenir, Marie-Hélène Beauséjour, professeure au Département de génie des systèmes de l’ÉTS et chercheuse au CIUSSS-NîM, élabore un modèle numérique davantage adapté aux corps plus vulnérables.
Les lésions traumatiques de la moelle épinière peuvent nuire considérablement à la qualité de vie des personnes touchées et engendrer des conséquences importantes sur le plan sociétal. Au Canada, les soins aux victimes de traumatismes à la moelle épinière impliquant des conséquences sur le plan neurologique coûtent entre 1,47 M$ et 3,03 M$ par personne.
Actuellement, les modèles numériques utilisés pour évaluer ces blessures ne sont pas adaptés aux caractéristiques des personnes âgées ou des femmes. Les données sur ces groupes cibles sont de simples mises à l’échelle qui ne permettent pas une compréhension approfondie des mécanismes derrière les traumatismes.
« Historiquement, nos données proviennent du sport et de l’armée, et sont donc basées sur des hommes jeunes et en bonne santé, indique-t-elle. Il y a un grand besoin d’en avoir davantage sur les femmes et les personnes âgées. »
Créer des modèles adaptés
C’est exactement ce que Marie-Hélène Beauséjour s’emploie à faire dans son laboratoire. La chercheuse travaille sur la modélisation par éléments fins (FEM), c’est-à-dire sur des modèles numériques qui sont en fait des copies virtuelles de différents éléments du squelette ou d’organes. L’accès à des corps humains étant plus difficile, cette méthode a l’avantage de reproduire les mécanismes de façon très fidèle et précise.
« On s’intéresse précisément à quelle partie de l’os va briser, par exemple, avec quelle force et à quelle vitesse », explique la professeure, qui se penche tout particulièrement sur les ostéophytes vertébraux. Ces excroissances situées au niveau des articulations sont notamment présentes chez les personnes âgées atteintes d’arthrose.

À l’Hôpital du Sacré-Cœur-de-Montréal, où elle travaille, Marie-Hélène Beauséjour a justement remarqué que beaucoup de patients victimes de traumatismes sont des personnes âgées tombées de leur hauteur. « L’arthrose, et donc les ostéophytes, peut avoir un impact sur le type et l’emplacement d’une blessure après un accident », mentionne-t-elle.
Actuellement, la science ne peut pas encore définir si ces déformations de la colonne vertébrale sont plutôt bénéfiques ou néfastes. Une étudiante de l’équipe de Marie-Hélène Beauséjour cherche à identifier de quels types de tissus elles sont composées et réalisera des tests mécaniques afin de les intégrer au modèle numérique.
D’autres facteurs qui influencent le type de traumatismes doivent aussi pris en compte, comme la posture ou la vitesse au moment de l’accident, certes, mais aussi la densité osseuse ainsi que la musculature. « Le disque intervertébral d’un homme et d’une personne âgée ne réagit pas de la même façon, par exemple, ce qui rend cette dernière plus à risque d’avoir un accident, ajoute la chercheuse. On essaie de reproduire le modèle le plus fidèle à la personne. »
Vers une sécurité plus inclusive
Ces travaux s’avèrent utiles à la conception de meilleurs équipements de protection, notamment dans les voitures. Là encore, la plupart des études en matière de sécurité des femmes dans l’industrie de l’automobile sont basées sur la morphologie des hommes.
« Présentement, nos systèmes de sécurité sont pensés pour une personne en parfaite santé, souligne Marie-Hélène Beauséjour. Pourtant, quand on construit un pont, on va avoir un certain critère de sécurité pour s’assurer qu’il ne s’effondre jamais. De la même manière, il faudrait d’abord penser à la personne la plus vulnérable qui conduira la voiture. »

Lors d’un accident de la route, les femmes ont de 47 % à 71 % plus de risques de subir des blessures dans le même accident. « Cela s’explique par une dégénérescence musculaire plus rapide avec la ménopause et une flexibilité plus grande à l’origine du fameux coup du lapin [une entorse cervicale] », précise-t-elle. Le choix de matériaux et la conception de l’appuie-tête, par exemple, pourraient ainsi être faits en fonction de morphologies plus variées afin d’amortir le choc de manière personnalisée.
À terme, la chercheuse espère que ses travaux permettront aussi de concevoir des outils et des traitements chirurgicaux plus adaptés aux femmes et aux personnes âgées. Les implications du programme de recherche sur lequel planche Marie-Hélène Beauséjour sont donc bien plus étendues et pourront contribuer à l’amélioration des stratégies de soins.