Difficile de reprocher à une personne de vouloir s’emparer du bonheur, même au détriment des autres. Cette chasse au bonheur hante les philosophes depuis l’Antiquité grecque. Pour les platoniciens, faire le bien est la voie à suivre; pour les chrétiens, cette félicité se trouve dans l’au-delà; pour les sophistes, l’opportunisme est tissé à même l’être humain.
Selon Thomas Mekhaël, professeur enseignant en éthique à l’ÉTS, la conception du bonheur des sophistes est encore aujourd’hui la vision la plus répandue. « Dans un monde où chacun veut tirer son épingle du jeu, comment apprendre à collaborer? », se questionne-t-il?
Fasciné dès son jeune âge par la quête de l’équilibre entre la justice et la poursuite du bonheur, Thomas entreprend des études universitaires en philosophie. Influencé par la pensée helléniste, Thomas rédige son mémoire sur Thrasymaque de Chalcédoine. Aux yeux de ce sophiste, « celui qui commet l’injustice est plus heureux que celui qui agit en fonction de la justice ». Seules les lois peuvent entraver cet égocentrisme. Thomas Mekhaël obtient sa maîtrise en 2015 de l’Université de Montréal avec la mention d’excellence.
Son champ d’expertise : l’éthique appliquée
Peu d’emplois sont disponibles à sa sortie d’université. Qu’à cela ne tienne, Thomas agrandit son champ d’expertise et opte pour un certificat en éthique et droit. La Commission Charbonneau a participé à l’éveil collectif. Une constatation s’impose : la corruption de quelques-uns nuit à l’ensemble de la société, y compris aux personnes corrompues, puisque le marché se trouve en partie paralysé par l’explosion des coûts. L’éthique professionnelle devient à l’ordre du jour au sein des organisations.
Les portes de l’enseignement s’ouvrent alors pour Thomas Mekhaël. Après avoir participé à la création d’un cours sur l’éthique à l’ÉTS durant la pandémie, Thomas reçoit une demande similaire de la part de Polytechnique Montréal. Puis en 2024, le jeune chargé de cours obtient un poste de professeur enseignant en éthique à l’ÉTS.
Un philosophe en génie!
Je suis d’abord et avant tout un enseignant », affirme Thomas Mekhaël. Ses recherches, ses préoccupations, le livre qu’il a coécrit, l’éthique et le génie québécois, ou encore, les conférences qu’il donne ont toujours une visée pédagogique.
Thomas est agréablement surpris par l’ouverture d’esprit des étudiantes et étudiants de l’ÉTS. Le milieu du génie est régulièrement confronté à des dilemmes moraux. Que faire lorsqu’une entreprise qui désire engranger le maximum de profits demande de contourner certaines lois environnementales pour réduire les coûts? L’obligation morale de protéger le public fait partie du devoir des ingénieures et ingénieurs. Alors, perdre son poste ou accepter une entorse à ses valeurs? « En réfléchissant à la façon d’améliorer le système, ce ne sera plus nécessaire de recourir à ce sacrifice individuel la prochaine fois que nous serons en face d’un tel choix », affirme Thomas.
L’éthique, la voie rapide vers la justice
Thomas Mekhaël donne l’exemple du gouvernement des Pays-Bas qui a carrément interdit aux camions tout dépassement. Cela a provoqué un tollé, mais bizarrement, au bout d’un certain temps, les camionneurs ont observé qu’il leur fallait moins de temps pour atteindre leur destination. Une étude a confirmé que la capacité moyenne des routes concernées avait augmenté de 36 %.
Comment expliquer ce phénomène? Le conducteur opportuniste qui se glisse entre deux voitures récupère quelques secondes, certes, mais il ralentit la circulation globale puisque les automobilistes qui le suivent doivent freiner pour maintenir une distance. Donc, oui, ce conducteur donne raison à Thrasymaque, mais en l’obligeant à rester dans sa voie, la loi assure que tout le monde y gagne. L’équilibre entre la justice et l’opportunisme est possible.
« C’est donc en ciblant les organisations en phase avec leurs valeurs que les ingénieures et ingénieurs auront l’impact le plus positif sur le vivre-ensemble au Québec », conclut Thomas Mekhaël.