L’état d’incarnation
Grâce à un casque de réalité virtuelle, il est possible d’explorer et de se déplacer dans un monde virtuel entièrement conçu par ordinateur. Pour interagir avec cet environnement, il faut au minimum des mains virtuelles qui permettent de saisir ou de manipuler des objets. Lorsque l’utilisateur contrôle un corps virtuel complet, appelé avatar, un phénomène psychologique se produit : l’état d’incarnation. Cela signifie que l’utilisateur a l’impression que l’avatar est son propre corps. Cet effet peut se créer en synchronisant les mouvements de l’utilisateur avec ceux de l’avatar : si l’utilisateur bouge sa main pour attraper un objet virtuel, la main de l’avatar bouge de la même manière. L’effet d’incarnation est encore plus fort lorsque l’utilisateur voit à travers les yeux de l’avatar, ce qui lui donne l’impression d’être véritablement à sa place, de pouvoir le contrôler et de ressentir les actions de l’avatar comme s’il s’agissait des siennes.
Beaucoup d’études ont montré que modifier l’apparence de l’avatar pouvait redéfinir l’image que l’utilisateur se fait de son propre corps et modifier certains comportements psychologiques. Notre étude cherche à comprendre comment notre cerveau s’adapte à un avatar présentant une déformation morphologique extrême et comment cela affecte les mouvements. Plus précisément : comment l’utilisateur planifie et exécute ses mouvements si l’une de ses jambes est deux fois plus longue que la normale? Va-t-il ajuster la façon dont il répartit son poids ou modifier sa manière de marcher?
Expérience d’amorce de la marche
Pour répondre à ces questions, nous avons fait une expérience avec une vingtaine de participants âgés de 18 à 40 ans. Après avoir mis un casque de réalité virtuelle, ils pouvaient voir une copie virtuelle de notre laboratoire et le reflet de leur avatar dans un miroir virtuel. Ensuite, trois conditions différentes étaient appliquées à leurs jambes virtuelles : soit les deux jambes restaient de taille normale, soit la jambe qui effectuait le premier pas était allongée, soit la jambe qui restait au sol était allongée. Dans ces deux dernières conditions, l’agrandissement de la jambe était progressif et localisé sur le segment du tibia. Les participants devaient ensuite réaliser une dizaine d’amorces de la marche, en avançant de deux pas. L’amorce de la marche est un mouvement complexe qui exige une coordination de muscles du corps entier et l’intégration de nombreux signaux sensoriels pour passer de l’immobilité au mouvement. De ce fait, l’amorce de la marche est susceptible d’être perturbée par une déformation de la jambe virtuelle.
Nous avons analysé les mouvements des participants à l’aide de caméras et de marqueurs placés sur leur corps, et mesuré les forces exercées au sol avec des plateformes de force. Les variables observées comprenaient le centre de gravité du corps et le centre de pression, qui correspond à la résultante des forces exercées par les pieds sur le sol, à différents moments de l’amorce de la marche.
Les résultats indiquent que les participants mettaient moins de poids sur leur jambe déformée, même avant de commencer à marcher. Selon que la jambe déformée était celle qui avançait ou celle qui restait au sol, cela affectait différemment leur stabilité lors de la planification et de l’exécution des mouvements. Fait intéressant, cette incertitude est similaire à celle des patients hémiparéthique (qui ont une faiblesse d’un côté du corps) par rapport à leur jambe affectée. Ainsi, une application possible de cette étude serait de créer des avatars avec des déformations adaptées aux déficits spécifiques des patients hémiparéthique, pour les aider à compenser ces déficits. Un programme de rééducation pourrait inclure des séances de réalité virtuelle où le patient, sans en avoir pleinement conscience, commencerait à mobiliser progressivement son membre affecté.
Informations supplémentaires
Pour plus de détails sur cette recherche, consultez l’article suivant : V. Vallageas, R. Aissaoui, I. Willaert, et D. R. Labbé, « Embodying a self-avatar with a larger leg: its impacts on motor control and dynamic stability », IEEE Trans. Vis. Comput. Graph., vol. 30, no 5, p. 2066 2076, mai 2024, doi: 10.1109/TVCG.2024.3372084