
Les maladies neurodégénératives comme le Parkinson et l’Alzheimer pourraient être traitées plus tôt, en prêtant l’oreille aux discrets symptômes qui apparaissent des années avant le diagnostic. Rachel Bouserhal, professeure au Département de génie électrique de l’ÉTS, compte bien y parvenir grâce à un écouteur capable de détecter des signaux physiologiques irréguliers, générés par le corps.
Bien souvent, la maladie de Parkinson est diagnostiquée lorsque ses manifestations sont visibles, telles que les tremblements, la rigidité des muscles ou une lenteur dans les mouvements. Or, des symptômes beaucoup plus subtils sont probablement passés inaperçus, des années auparavant. « Il peut s’agir de changements dans la façon dont une personne articule les mots, dans le lexique employé, les habitudes de respiration et même de déglutition », souligne Rachel Bouserhal.
Des personnes atteintes d’Alzheimer, par exemple, emploieront progressivement un vocabulaire moins riche ou répéteront les mêmes mots. D’autres, atteintes de Parkinson, respireront de manière plus superficielle, avec de courtes inspirations. « On peut déjà capter ces signaux physiologiques avec des dispositifs intra-auriculaires, mais peut-on les utiliser pour détecter certaines maladies de façon précoce? » s’interroge Rachel Bouserhal. Là est toute la question, pour la professeure, qui tente d’y répondre avec son équipe de recherche à l’ÉTS.

Pour y parvenir, elle utilise un appareil, développé en partenariat avec la société montréalaise EERS Global Technologies et la Chaire de recherche industrielle ÉTS-EERS en technologies intra-auriculaires (CRITIAS). Le dispositif s’insère dans l’oreille comme des écouteurs classiques. Un microphone intégré permet de capter les variations de sons, comme la voix, et les rythmes tels que la respiration et les battements du cœur.
« En bloquant le canal auditif, les sons produits par le corps sont amplifiés dans les basses fréquences, car ils ne peuvent plus s’échapper dans l’air », explique la chercheuse. Simultanément, un second microphone capte le bruit extérieur et le renvoie dans l’oreille grâce à un haut-parleur miniature. Cela permet de réduire l’inconfort créé par cet « effet d’occlusion ».
Séparer les signaux
La professeure teste actuellement son moniteur auditif, à l’étape de « preuve de concept ». L’un des objectifs est de réussir à isoler les différents signaux, qui sont tous enregistrés en même temps. Cela, grâce à des algorithmes de séparation des sources – c’est-à-dire en utilisant plusieurs microphones, ainsi qu’à l’apprentissage automatique, une forme d’intelligence artificielle. « Nous nous intéressons aussi à d’autres types de capteur, comme les photopléthysmographie (PPG), qui peuvent détecter les battements cardiaques », précise Rachel Bouserhal.
Ensuite, il est essentiel de pouvoir comparer les données entre les personnes qui présentent une maladie ou non. Deux études distinctes sont présentement menées par l’équipe, l’une avec l’organisme Parkinson Québec et l’Université de Montréal, auprès d’un échantillon de patients atteints de Parkinson et de leurs aidantes et aidants naturels. L’autre, en partenariat avec le Centre de recherche Douglas, afin de collecter des données auprès de personnes saines et d’autres qui souffrent de l’Alzheimer et de troubles cognitifs légers.
La chercheuse croit que les prochaines générations porteront des dispositifs intra-auriculaires la majorité du temps, ce qui permettra de suivre les indicateurs de santé, voire les émotions d’une personne. « Cela ne sera pas trop difficile de convaincre la génération montante de porter tout le temps des appareils à l’oreille, dit-elle. Ils le font déjà, avec les AirPods, par exemple. »
Une technologie poussée
Originaire du Liban, Rachel Bouserhal s’est établie avec sa famille aux États-Unis, où elle a obtenu une maîtrise en génie électrique de la Michigan State University. Elle s’envole vers Montréal pour rejoindre l’École de technologie supérieure, qui recherche une doctorante spécialisée dans le traitement de signal. Sous la supervision de Jérémie Voix, professeur au Département de génie mécanique de l’ÉTS, son doctorat est consacré à la communication dans les environnements bruyants.
Dans ce cadre, la chercheuse participe au développement d’un écouteur qui permet aux personnes travaillant dans des endroits où le niveau sonore est important de se parler, sans retirer leurs protections auditives. Les bruits sont filtrés par l’appareil grâce à un algorithme, afin de rendre les dialogues plus intelligibles. Cette invention a posé les premiers jalons de ses recherches actuelles en tant que professeure. « J’ai réalisé que nous pourrions utiliser cette même technologie pour la détection précoce des maladies », dit-elle.

La professeure a choisi de rester à l’ÉTS pour ses opportunités en recherche appliquée. « Je voulais absolument que mes travaux aboutissent à un produit qui peut être utilisé par les gens. L’ÉTS possède aussi un grand nombre des ressources dont j’ai besoin, comme une cabine audiométrique, ce qui n’est pas facile à trouver dans d’autres universités. » Les cabines audiométriques permettent de mesurer l’efficacité des protecteurs auditifs dans des conditions sonores excessives.
À moyen terme, Rachel Bouserhal imagine que son dispositif pourra facilement détecter si une personne est déjà malade. En ce qui concerne le diagnostic précoce, la chercheuse espère que cela sera possible dans les dix prochaines années.