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La carboneutralité biogénique et l’objectif zéro émission nette

Réduire les GES

Sommaire

Alors que le monde vise à limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C, il devient nécessaire d’adopter des stratégies de réduction d’émissions de gaz à effet de serre et d’élimination du dioxyde de carbone de l’atmosphère. La bioénergie forestière est souvent vue comme une solution carboneutre aux combustibles fossiles. Mais cette hypothèse est-elle vraiment crédible? Dans cette étude, nous remettons en question cette notion en intégrant un modèle de bilan du carbone forestier à un modèle de système énergétique, afin d’analyser l’effet du carbone biogénique sur les options de décarbonation au Québec. Nous avons constaté que le captage du carbone forestier dans le cadre de la planification énergétique facilite grandement les efforts de décarbonation. Nous avons également découvert que des stratégies efficaces de gestion forestière peuvent réduire considérablement notre dépendance envers des technologies coûteuses d’émissions négatives. Cette recherche souligne l’importance de réévaluer notre approche envers la bioénergie et la gestion des forêts afin de prendre des décisions plus éclairées pour assurer un avenir durable.

Pour lutter contre les changements climatiques, il faut réduire le dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Diverses stratégies permettent d’y parvenir : agrandir l’espace forestier, mieux gérer les forêts existantes, augmenter l’absorption du carbone par les sols agricoles et combiner la production bioénergétique avec le captage et le stockage du carbone (BCSC), toutes des technologies d’élimination du dioxyde de carbone (carbon dioxide removal, CDR). La plupart d’entre elles sont abordables et réalisables à grande échelle. Cependant, il y a les défis comme la concurrence dans la demande de produits du bois et la saturation éventuelle des puits de carbone forestiers.

Le carbone biogénique, c’est-à-dire le carbone contenu dans la biomasse des plantes et des arbres, doit faire partie de l’équation. Règle générale, le carbone libéré par la combustion de biomasse est compensé par le carbone absorbé par les plantes au cours de leur croissance, menant à la prémisse de la « carboneutralité ». Mais cet équilibre peut varier, en particulier chez les plantes qui ont une longue durée de vie, comme les arbres. Nos recherches intègrent des modèles de dynamique du carbone forestier avec des modèles de systèmes énergétiques, afin de mieux comprendre comment la bioénergie et la gestion des forêts peuvent atténuer le changement climatique, plus particulièrement au Québec (Canada). Cette approche est nouvelle, car elle associe des données détaillées sur le carbone forestier à la modélisation des systèmes énergétiques, afin d’explorer les stratégies les plus efficaces de réduction des GES d’ici 2050.

Méthodologie de l'étude
Figure 1. Aperçu de la méthodologie (Kouchaki-Penchah et al, 2023).

Les résultats tirés du Modèle du bilan du carbone du secteur forestier canadien (MBC-SFC3) nous ont permis de modéliser les approches de gestion forestière et d’obtenir des disponibilités de biomasses pour la bioénergie et les émissions forestières nettes. Ainsi, nous pouvons voir si et comment cette biomasse peut être employée dans le système énergétique, dans l’horizon de temps considéré (Figure 1). Ensuite, nous avons modélisé de façon détaillée diverses approches de bioénergie forestière avec et sans CSC. Ces approches sont mises en œuvre dans un modèle énergétique ascendant détaillé pour le Québec.

Nous avons étudié trois stratégies de gestion forestière : GF1 – maintien du statu quo; GF2 – intensification par augmentation de coupe et réduction de captage de carbone; et GF3 – conservation avec diminution de coupe et amélioration de captage de carbone. La distribution de la biomasse suit la chaîne d’approvisionnement des produits forestiers (figure 2) et répond aux besoins de l’industrie primaire, secondaire et bioénergétique. Cette approche inclut les changements dans la gestion forestière et le reboisement dans le cadre des stratégies de CDR. En outre, nous avons intégré la BCSC en incluant 94 technologies de bioénergie forestière, avec ou sans CSC. Pour une vue d’ensemble de notre modèle de système énergétique, voir la figure 1 de notre article précédent dans Substance (Kouchaki-Penchah et Levasseur, 2022).

Chaîne d’approvisionnement du modèle de système énergétique
Figure 2. Chaîne d’approvisionnement du modèle de système énergétique (Kouchaki-Penchah et al, 2023)

Dans cette étude, nous avons exploré différentes possibilités, ou « scénarios », pour voir à quel point changer notre gestion et notre utilisation des ressources forestières pourrait influer sur notre modèle énergétique. Le scénario « REF_CN » illustre la poursuite des pratiques existantes sans nouvelles mesures de gestion des forêts, de captage du carbone ou de réduction des émissions. Quant au « GES_CN », il s’agit d’un scénario ambitieux qui vise une réduction importante des émissions de GES d’ici 2030 et zéro émission nette d’ici 2050. D’autres variantes de ces scénarios préconisent différentes intensités de gestion forestière (GF1, GF2 et GF3). Certains scénarios considèrent l’absorption et le rejet de dioxyde de carbone par les forêts comme facteur neutre (CN), et d’autres prennent en compte ce carbone biogénique.

Une gestion forestière orientée vers l’avenir en matière de GES

L’intégration des émissions et du captage de carbone forestier dans nos modèles révèle son importance sur les efforts de décarbonation. Par exemple, d’ici 2040, les émissions totales de GES dans le scénario REF_GF1 s’élèvent à 60 Mt d’équivalent CO2, contre près de 70 Mt dans sa variante carboneutre REF_GF1_CN (figure 3 (a)). Cette constatation fait ressortir la capacité de la gestion forestière à modérer les trajectoires des GES, plutôt qu’à retarder les efforts de décarbonation. À noter qu’après 2040, la stratégie d’intensification REF_GF2 affiche des émissions plus élevées que REF_GF2_CN, en raison de la capacité limitée de compensation du captage forestier par rapport aux émissions de CO2

biogénique (figure 3 (b)). Cette tendance se voit également dans d’autres scénarios de gestion tels que GF1 et GF3, bien qu’à des moments différents, ce qui met en évidence leurs différentes capacités de captage. REF_GF3, qui préconise la conservation, présente les émissions de GES les plus faibles d’ici 2050 parmi tous les scénarios. Ce fait suggère que choisir la bonne stratégie de gestion forestière peut réduire de manière importante la pression sur le système énergétique pour atteindre zéro émission nette d’ici 2050 (figure 3 (c)).

Biogenic Carbon 3 FR
Figure 3. Émissions totales de GES au Québec : a) GF1 (statu quo) ; b) GF2 (intensification) ; c) GF3 (conservation) (Kouchaki-Penchah et al, 2023).

Prétendre à la carboneutralité peut biaiser la prise de décision

Nos résultats mettent en évidence les risques liés à la prétendue neutralité du carbone biogénique. Après 2030, les scénarios fondés sur cette hypothèse (GES_CN, GES_GF1_CN, GES_GF2_CN) reposent trop sur le captage du CO2 issu de la consommation de biomasse par la BCSC, considéré comme un chiffre négatif dans les calculs de GES (figure 4 (a)). Pour parvenir à zéro émission nette d’ici 2050, il faut recourir au captage direct dans l’air (direct air capture, DAC) et sa portée dépend de la capacité de captage des forêts. En 2050, le scénario GES_GF2_CN fait moins appel au DAC (<1 Mt CO2-eq), ce qui ne signifie pas que le scénario GF2 est le plus efficace par rapport à la réduction de DAC. En fait, l’inclusion des émissions biogéniques (GES_GF2) augmente les besoins en DAC (18 Mt CO2-eq), ce qui peut biaiser la prise de décision si l’on néglige les émissions de CO2 biogénique. Parmi les scénarios qui intègrent le CO2 biogénique, le GES_GF3 est le moins dépendant du DAC (2 Mt CO2-eq), grâce à l’augmentation de captage du carbone forestier. La stratégie GF3 se positionne donc comme approche optimale pour atteindre zéro émission nette d’ici 2050, en particulier si l’on considère les défis actuels et les limitations d’échelle de la technologie DAC (figure 4 (a)).

Aperçu des émissions de GES dans différents secteurs au Québec
Figure 4 : a) Aperçu des émissions de GES dans différents secteurs au Québec ; b) Effet des stratégies d’aménagement forestier et de la carboneutralité sur la consommation bioénergétique (Kouchaki-Penchah et al, 2023).

La principale différence entre les scénarios avec et sans l’hypothèse de la carboneutralité réside dans les émissions à court terme plus élevées lorsqu’on inclut le carbone biogénique. D’ici 2050 (figure 4(b)), cela se traduit par des réductions de 25 %, 34 % et 24 % de l’utilisation de la bioénergie dans les scénarios de GES GF1, GF2 et GF3, respectivement. L’hypothèse de la neutralité carbone permet une plus grande utilisation de la biomasse ou de la bioénergie sans les contraintes liées aux émissions de CO2 biogénique. Elle peut, cependant, biaiser la prise de décision en raison de l’insuffisance de captage futur. Cette hypothèse affecte notamment les choix en matière de BCSC et de sources bioénergétiques. Par exemple, la production de gaz de synthèse par gazéification n’est viable qu’en cas de carboneutralité, la quantité produite variant en fonction de la stratégie de gestion forestière. Il est donc essentiel d’identifier la stratégie de gestion forestière la plus efficace avant d’investir dans la BCSC.

Conclusion

Intégrer le captage forestier dans les stratégies de décarbonation peut modérer les trajectoires des GES, en particulier dans les secteurs difficiles à décarboner. Il faut inclure les émissions de CO2 biogéniques dans les contributions fixées au niveau national (CDN), car leur exclusion peut fausser les résultats en matière d’atténuation et avoir un impact sur le choix de BCSC. On doit identifier les stratégies optimales de gestion forestière avant d’investir massivement dans la BCSC, en tenant compte des différentes méthodes d’utilisation de la biomasse selon la disponibilité et la capacité de captage. Ignorer les émissions biogéniques dans les modèles pourrait biaiser la prise de décision en surestimant l’utilisation de la biomasse. Les investissements immédiats dans la BCSC et autres technologies zéro nettes peuvent s’avérer difficiles. Mais la transition vers des stratégies de gestion forestière rentables est essentielle pour respecter la limite de réchauffement de 2 °C après 2030 et parvenir à zéro émission nette d’ici 2050. Des objectifs de réduction des émissions plus ambitieux sont envisageables avant 2030. Il est recommandé d’intégrer pleinement le secteur forestier dans les modèles énergétiques comme NATEM en vue d’une planification efficace et pour améliorer la précision des modèles dans la lutte contre le changement climatique.

Complément d’information

  • Pour plus d’information, consulter l’article de suivant :
  • Kouchaki-Penchah, H., Bahn, O., Vaillancourt, K., Moreau, L., Thiffault, E., Levasseur, A., 2023. « Impact of Biogenic Carbon Neutrality Assumption for Achieving a Net-Zero Emission Target: Insights from a Techno-Economic Analysis, » publié dans Environmental Science & Technology, Volume 57, Pages 10615–10628 : https://doi.org/10.1021/acs.est.3c00644.
  • Voir également notre article sur le rôle de l’hydrogène dans une économie à zéro émission nette, en intégrant la dynamique des flux de CO2 biogénique : Kouchaki-Penchah, H., Bahn, O., Bashiri, H., Bedard, S., Bernier, E., Elliot, T., Hammache, A., Vaillancourt, K., Levasseur, A., 2023. “The Role of Hydrogen in a Net-Zero Emission Economy Under Alternative Policy Scenarios,” publié dans International Journal of Hydrogen Energy : https://doi.org/10.1016/j.ijhydene.2023.07.196.
À propos des auteurs

Hamed Kouchaki Penchah est un récent diplômé au doctorat du Département de génie de la construction à l'ÉTS. Il possède une expérience universitaire et professionnelle en modélisation des systèmes énergétiques, en évaluation du cycle de vie, en analyse d'éco-efficacité et en durabilité des bioressources. Ses recherches actuelles se concentrent sur les aspects politiques du changement climatique et de la transition énergétique.

Annie Levasseur est professeure au Département de génie de la construction de l’ÉTS. Sa recherche est principalement axée sur l’évaluation des impacts des activités humaines sur les changements climatiques et des mesures d’atténuation.