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Dévoiler les secrets des momies animales de l’Égypte ancienne

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Image tomodensitométrique de momie de chat rendue avec le logiciel Dragonfly (v.2022, Comet Technologies Canada Inc.)

Sommaire

Qu’ont en commun biologistes du squelette, anthropologues biologiques, ingénieurs en mécanique et conservateurs de musée ? Peut-être, étonnamment, une fascination pour les anciennes momies égyptiennes! En 2023, les chercheurs Natalie Reznikov de l’Université McGill, et Andrew Nelson de l’Université Western, ont demandé à Annie Lussier et Anthony Howell, conservateurs du Musée Redpath de McGill, d’analyser des momies animales parmi leur collection des cultures du monde. Sept petits ballots fragiles, contenant vraisemblablement deux faucons, deux crocodiles, un chat et deux ibis, ont été soigneusement livrés à la nouvelle installation d’imagerie par rayons X de l’ÉTS pour être examinés, en collaboration avec le professeur Vladimir Brailovski.

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Figure 1. Animaux momifiés exposés dans la section Égypte ancienne du musée Redpath.

Vestiges momifiés

Pendant des milliers d’années, momifier des corps a fait partie des principales pratiques religieuses de l’ancienne civilisation égyptienne. La momification artificielle consistait à embaumer le corps avec de la résine, à le dessécher et à l’envelopper soigneusement afin de le préserver « intact » pour l’au-delà. Membres de la famille royale et aristocratique, religieux et animaux sacrés et même les animaux domestiques et offrandes alimentaires étaient tous momifiés. La momification reposait sur des connaissances approfondies en chimie et en anatomie et, alliant l’art et la science, elle s’est perfectionnée au fil des ans. Mais c’était aussi un commerce : les animaux d’importance culturelle étaient couramment conservés pour offrandes symboliques aux divinités. Ces préparations d’oiseaux, de mammifères et de reptiles sont aujourd’hui appelées momies « votives » (figures 1 et 2). Ces momies étaient les plus nombreuses à la fin de la période ptolémaïque. Un citoyen pouvait acheter une momie et l’apporter au temple dans l’espoir d’obtenir une faveur personnelle de la part du dieu concerné, tout comme un croyant contemporain allumant un cierge dans une église. Une divinité différente et une faveur différente à demander nécessitaient une momie votive différente.

Les momies animales du musée Redpath

Les sept momies animales du musée Redpath sont toutes des momies votives datant de plus de deux mille ans. Elles sont légères et délicates, d’une subtile couleur ocrée, et doivent être manipulées avec le plus grand soin. Le ballot de chat, le plus grand, est recouvert de ruban croisé de façon régulière et ornementé, et les oreilles pointues caractéristiques sont faites de textile replié (figure 2a). Les deux ballots de jeunes crocodiles sont longs et étroits. L’un d’eux a un museau denté « grimaçant » émergeant du tissu rugueux (figure 2b). L’autre a des genoux osseux graciles ressortant des couches de textile (figure 2c) comme s’ils avaient été enroulés à la hâte. Les faucons sont augustes et compacts, tous deux avec leur bec émergeant des enveloppes (figures 2d et 2e). Les deux ballots d’ibis mesurent environ 30 cm de long et prennent la forme caractéristique d’une poire, avec un bout renflé pour la tête. Cet oiseau aux longues pattes, très vénéré dans l’Égypte ancienne, était un symbole d’alphabétisation et de sagesse, mais aussi de protection pour les fermiers contre les serpents et la peste. L’un des ballots en forme de poire est orné d’une plaque représentant un ibis, peinte avec des colorants minéraux blancs, noirs et bleus (figure 2f). L’autre est enveloppé serré dans un motif de rubans croisés (figure 2g).

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Figure 2. Momies votives : a) Chat 2728.01, b) Crocodile 2725.01, c) Crocodile 2725.02, d) Faucon 2726.02, e) Faucon 5731, f) Ibis 2727.01, et g) Ibis 2727.02.

Transport et montage

Les ballots sont transportés par une muséologue professionnelle (Josée Noël, CARTGO) dans des berceaux coussinés faits sur mesure (Figure 3). La doctorante Shumeng Jia a conçu et imprimé en 3D un support incliné pour les berceaux. Ce support robuste sert à monter et à stabiliser les précieux ballots sur une plate-forme rotative, à l’intérieur du scanner tomographique à rayons X. Gantées et masquées pour protéger les spécimens, Shumeng et Maris Schneider, étudiante en anthropologie, centrent soigneusement l’adaptateur incliné contenant la momie dans le berceau rembourré, à l’intérieur de la chambre du scanner à l’éclairage futuriste. Il est maintenant temps de procéder à la numérisation. Salah Brika, postdoctorant, ferme la porte coulissante du scanner et active les rayons X. Tous se pressent autour du poste de contrôle alors que la première image, floue et transparente, apparaît sur l’écran.

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Figure 3. Manipulation des momies. a) Transport, b) Emballage, c) Mise en place du support, d) Momie de faucon dans le support sur la plate-forme rotative, e) Préparation de la momie ibis, f) L’image apparaît.

Tomographie assistée par ordinateur

La technique d’imagerie connue sous le nom de tomographie assistée par ordinateur, fondée sur la technologie des rayons X, produit des images transversales et volumétriques détaillées d’un objet. Elle sert en médecine pour fournir des informations sur la structure interne des organes, en particulier des os et des dents. Elle sert également aux applications industrielles pour les essais non destructifs et le contrôle qualité. Le scanner tomographique se compose d’une source de rayons X et d’un ensemble de détecteurs montés l’un en face de l’autre (Figure 4). La source de rayons X émet un faisceau conique et les détecteurs captent les rayons X atténués qui traversent l’objet. En tomographie industrielle, l’objet tourne tandis que la source de rayons X et les détecteurs sont immobiles (dans un scanner médical, la source de rayons X et les détecteurs tournent autour du patient pendant l’imagerie). À chaque tour de plate-forme d’un dixième de degré, une image produite par rayons X est prise. Comme les rayons X peuvent traverser les textiles et la résine, mais se dispersent en présence d’os ou de sédiments, la structure interne des ballots se révèle grâce aux différences de contraste. Les images par rayons X bruts recueillies sous plusieurs angles sont traitées par ordinateur pour obtenir une image numérique en 3D, appelée reconstruction volumique. Les images reconstruites sont composées de voxels, soit des pixels tridimensionnels (volumes). Chaque voxel représente un petit volume dans l’objet et a une valeur en densité correspondante au degré d’atténuation des rayons X.

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Figure 4. Configuration du scanner tomographique par rayons X (Yxlon FF35).

Reconstruction numérique en 3D

Les images sont régulièrement collectées et provisoirement reconstruites au fur et à mesure qu’elles apparaissent à l’écran. Bien que la majeure partie de l’analyse des images soit effectuée ultérieurement, certaines caractéristiques sont déjà évidentes. Les os du chat sous les élégants bandages sont gravement disloqués, et son petit cerveau s’est transformé en poussière à l’intérieur du crâne (Figure 5).

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Figure 5. Numérisations tomographiques de la momie de chat 2728.01, vues a) axiale, b) coronale et c) sagittale.

Les bébés crocodiles sont petits et mignons, mais il reste à déterminer s’il s’agit de rejetons du féroce crocodile du Nil ou d’une autre espèce. Sur l’un des crocodiles, l’équipe a remarqué un petit os supplémentaire près de la queue, qui ne fait normalement pas partie d’un crocodile (Figure 6). De quoi s’agit-il ? Peut-être d’une pièce placée accidentellement par un embaumeur pressé et inattentif sur la « chaîne de production des momies votives ». Les faucons se ressemblent beaucoup : les piquants de leurs plumes primaires sont bien conservés et leurs trachées sont intactes (figure 7).

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Figure 6. Squelette de jeune crocodile momifié 2725.02.
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Figure 7. Tomographie de la momie de faucon 5731 en vues a) axiale, b) coronale et c) sagittale, et d) rendu 3D de la momie de faucon 2726.02.

Lorsque la première image par rayons X d’un des ballots d’ibis apparaît à l’écran, l’équipe est perplexe. Elle tente d’ajuster la luminosité et le contraste pour y voir plus clair, mais rien n’y fait, le squelette n’apparaît pas. En fait, et c’est une surprise, à l’intérieur de la « momie » d’ibis il n’y a pas de momie! Il n’y a que des chiffons emballés, maculés d’argile et de terre, façonnés en momie votive. Il n’y a pas d’os, et les seuls éléments qui diffusent le faisceau de rayons X sont de petits cailloux (Figure 8). Il s’agit d’une pseudo-momie. Mais cela ne signifie pas que le ballot n’est pas ancien ni important. Il s’avère qu’il était de pratique courante pour les anciens Égyptiens de fabriquer des pseudo-momies ne contenant que quelques objets aléatoires ou rien du tout. Il y a plus de deux mille ans, un artisan inconnu a peut-être vendu à un concitoyen un ballot vide en forme d’ibis sacré, destiné à être déposé dans le temple.

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Figure 8. Pseudo-momie. a) Images par rayons X de la momie d’ibis 2727.02, b) textile, c) coupe numérique, et d) cailloux.

L’équipe aura-t-elle plus de chance avec la deuxième momie d’ibis? La plaque peinte fixée sur le ballot le suggère, car elle représente l’image reconnaissable d’un oiseau adulte posé gracieusement, avec son bec recourbé vers le bas et ses longues pattes. Le suspense grandissant, le second ballot présente effectivement des ossements, mais pas exactement ceux auxquels l’équipe s’attendait. Il s’agit d’un oisillon de taille inférieure à celle d’un œuf de table. La forme caractéristique du bec indique clairement qu’il s’agit bien d’un ibis, non pas de l’incarnation majestueuse de Thot, le dieu de l’alphabétisation, mais d’un petit rejeton (Figure 9).

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Figure 9. Momie d’ibis. a) Plaque peinte sur la momie d’ibis 2727.01, b) rendu du faisceau 3D, c) momie 2727.01 contenant un ibis en train d’éclore.

Plus de détails à suivre!

D’autres travaux sont nécessaires pour déterminer l’espèce exacte et le mode de décès afin de mieux comprendre le contexte culturel de ces préparations. Grâce aux milliers d’images et aux multiples grossissements, les chercheurs vont maintenant s’atteler pendant plusieurs années encore à « déballer » numériquement les momies, à analyser chacun des os et à les comparer avec des animaux modernes. Mais la révélation de la contrefaçon d’une momie et de la quasi-contrefaçon de l’autre révèle des tendances humaines fondamentales de cette ancienne civilisation, démontrant elle aussi l’appât du gain. Peut-être est-ce une chance, car au moins un ibis a été épargné. Ou peut-être pas, comme dit Nelson en plaisantant : peut-être que « de nombreux malheurs de l’humanité sont le résultat de la colère de Thot, provoquée en réponse à une fausse offrande »?

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Cette étude met en lumière la remarquable polyvalence de l’approche tomographique par rayons X applicable à des domaines très variés. Elle permet i) l’inspection non destructive de pièces métalliques pour la détection de défauts et l’analyse dimensionnelle, ii) l’examen approfondi d’assemblages électroniques complexes pour le diagnostic des défaillances et l’évaluation de la fiabilité, iii) le dévoilement des caractéristiques en sous-surface et des complexités structurelles d’échantillons de béton et de sol, et iv) la visualisation des structures internes complexes de spécimens biologiques. Enfin, elle dévoile les histoires inédites d’artefacts anciens.

La polyvalence de la tomographie par rayons X, telle qu’utilisée dans ces disciplines, souligne son caractère indispensable comme outil d’innovation et de progrès dans divers domaines. Pour exploiter pleinement son potentiel, il faut poursuivre les efforts pour affiner les données au moyen d’algorithmes de traitement. Ceci permettrait de garantir l’utilisation maximale de ses capacités dans différents domaines d’application.

À propos des auteurs

Shumeng Jia est doctorante à l’Université McGill et travaille sur l’optimisation de la qualité des images tomographiques 3D à l’aide de l’IA générative.

Maris Schneider est étudiante en maîtrise en anthropologie à l’université Western.

Salah Eddine Brika est boursier postdoctoral à l’ÉTS. Il se spécialise dans la rhéologie des poudres en fabrication additive, combiné à une expertise en tomographie par rayons X.

Annie Lussier est conservatrice d’ethnologie au Musée Redpath de l’Université McGill.

Anthony Howell est technicien conservateur au Musée Redpath de l’Université McGill.

Nicolas Piché est directeur du développement avancé chez COMET Technologies, Canada, l’un des principaux développeurs du logiciel Dragonfly.

Marc McKee est professeur à l’Université McGill et travaille sur la biominéralisation et les maladies rares des os et des dents.

Andrew Nelson est professeur et titulaire de la chaire d’anthropologie spécialisée dans l’analyse des restes momifiés à l’université Western.

Natalie Reznikov est professeure de bio-ingénierie à l’Université McGill et étudie les os, dents et coquillages à l’aide de la microscopie 3D.

Vladimir Brailovski is a professor in the Department of Mechanical Engineering at ÉTS. He specializes in the design and manufacture of shape memory alloy devices and process engineering for additive manufacturing.